Son histoire
Si Ambleny fait son apparition dans les textes dès le XIe siècle, il faut attendre la fin de l’année 1143 pour voir mentionner une tour sur son territoire.
Les seigneurs de Pierrefonds entrent dans l’Histoire au début du règne de Philippe Ier (1052-1108) et figurent parmi les comtes du royaume dès le milieu du XIe siècle. Ils étendent leur domination sur une vaste étendue de pays et forment ainsi une redoutable châtellenie. Ambleny se trouve à l’extrême limite orientale de la zone d’influence des Pierrefonds et constitue un secteur stratégique tant sur le plan militaire que commercial. Né avant 1102 et décédé en 1160, Drogon Ier (ou Dreu) est âgé d’une trentaine d’années lorsqu’il succède à son père Nivelon II, en 1125-1127. Dreu a été le seigneur le plus puissant des Pierrefonds mais aussi l’un du royaume de France. Loin de partager l’engouement de l’époque pour les croisades, il s’occupe d’accroître l’étendue de ses domaines. La tour d’Ambleny possède tous les traits évocateurs des donjons de la première moitié du XIIe siècle, et rien ne s’oppose à ce que ce soit Dreu qui l’a fait bâtir. Si l’on exclut sa construction en raison de démêlés entre Dreu et le chapitre cathédrale de Soissons (pour empiètement sur des terres ecclésiastiques sans autorisation) en 1139, une forteresse a bien été construite entre 1140 et 1143. Avec elle, Dreu de Pierrefonds montre ainsi l’étendue de sa puissance.
Le nouveau roi de France, Philippe-Auguste, qui procède à récupérer le Valois et le Vermandois, montre son intérêt pour le Soissonnais. Vers 1185, assurément pour prévenir toute dépendance épiscopale gênante, ou mieux, pour s’assurer l’acquisition de la châtellenie après la disparition du dernier héritier sans descendance, il se fait céder par l’évêque « tout le fief du château de Pierrefonds et tout ce que le seigneur dudit château tenait et devait tenir de l’évêque de Soissons ». L’histoire de la tour au XIIIe siècle demeure dans l’ombre. La présence royale et son intérêt pour la défense du royaume deviennent tellement mineurs que Philippe le Bel se défait de toutes ses possessions d’Ambleny qui reviennent à nouveau au chapitre cathédrale de Soissons, en 1296-1297. Aux siècles suivants, le chapitre confie la garde de la tour à divers capitaines, lui redonnant un certain rôle militaire, comme lors de la guerre de Cent Ans.
Si elle a encore une importance stratégique au XVIe siècle, pendant les guerres de Religion et la Ligue, au XVIIe siècle, la tour est une habitation civile. Le 14 août 1688, par devant maître Lardon, notaire à Ambleny, le chapitre de Soissons loue à Pierre Decque et Marie Prévost, sa femme, « la maison de la Tour, cour, avec huit septiers de terre séant derrière la dite tour… ». Cet acte prouve que la tour était toujours habitable à cette date. Plus pour longtemps, puisque, dans la première moitié du XVIIIe siècle, les chanoines font démonter les planchers pour réparer la grange des dîmes. De 1742 à 1791, elle est louée à Philippe Hénin, vigneron, et Jeanne Fertin, sa femme. À partir de 1760 il est précisé que les preneurs ne sont plus tenus de réparer les murs et l’enceinte de la tour.
À la Révolution, alors qu’elle est parvenue intacte, pratiquement sans aucune modification depuis le XIIe siècle, elle sera vendue aux enchères publiques, le 16 juin 1791, comme bien national. Elle est adjugée à Charles Joannès, cordonnier à Ressons-le-Long. En mars 1792, elle devient la propriété de Martin Liénart, entrepreneur à Montigny-Lengrain, qui l’avait achetée sûrement pour bénéficier de matériaux bon marché. C’est sans doute pour masquer ses erreurs que sa famille a raconté plus tard que le Comité de salut public lui aurait ordonné de démolir la tour sous trois jours. Martin Liénart avait répondu que pour cela il faudrait la faire sauter, ce qui ne serait pas sans risques pour le village. On lui donne alors l’ordre de la démolir à la main, ce qu’il a fait, au fur et à mesure des besoins de son métier. L’opération n’étant pas rentable, en raison des difficultés d’accès, et la Révolution étant passée, Martin Liénart arrête sa destruction. La tour restera propriété de sa famille jusqu’en 1864, date à laquelle elle est à nouveau vendue aux enchères publiques. Elle est alors adjugée à M. Craudelin. Sa veuve la revend à Léon Breton, en 1873, qui, à son tour, la cède, en 1891, à Alphonse Dousson, docteur en médecine à Paris. Celui-ci, qui l’avait achetée pour y faire des fouilles, ne paye qu’une faible partie du prix convenu. Aussi, Albert, le fils de Léon, l’assigne en résolution de vente en 1921. Le docteur étant décédé, la vente est annulée en 1923.
Pendant la Première Guerre mondiale, alors que le centre du village a été entièrement détruit, la tour a souffert elle aussi des obus allemands, mais l’épaisseur des murs est suffisante pour qu’elle reste debout. Les bombardements ont arraché les parements de pierre de taille extérieurs, et n’ont pratiqué que peu de dommages à l’intérieur. Le décret du 24 février 1929 classe la tour monument historique, ce qui permet d’effectuer les travaux les plus urgents.
En juillet 1939, les Beaux-Arts décident d’entreprendre de nouvelles réparations mais la déclaration de guerre stoppe tout. En 1963, un échafaudage est installé pour réparer une fenêtre du premier étage, les travaux sont plus importants que prévu et l’entreprise qui devait intervenir dépose son bilan. Le projet est abandonné. Enfin, la commune d’Ambleny achète la tour en 2001, et les municipalités successives ont toutes eu à cœur de mener des travaux de conservation. Avec l’aide du conseil régional de Picardie, du conseil départemental (ex-général) de l’Aisne, de la Fondation du patrimoine et le mécénat d’entreprises locales, des travaux de grand nettoyage et de consolidation de la maçonnerie ont été effectués avec le concours de chantiers d’insertion. Le premier a commencé en octobre 2007 et, pendant trois ans, a procédé à l’aménagement des pourtours de la tour : murs escaliers, terrasses ainsi que l’entrée et le couronnement. Le dernier chantier a pris fin en décembre 2015.
Sa description
S’il fait peu de doute que Dreu de Pierrefonds est à l’origine de la tour, on ignore ses motivations. Toutefois, il est certain qu’elle n’était pas qu’un simple poste militaire. À la tête de domaines importants à Ambleny et dans les environs, la tour était aussi une résidence secondaire du seigneur de Pierrefonds et le siège de sa justice. Il l’a voulue la plus simple possible. Elle est entourée d’un mur d’enceinte de faibles dimensions flanqué de tourelles, dont il ne subsiste qu’un pan de mur (face à l’église). Tout porte à croire qu’il est contemporain de la tour car les maçonneries sont identiques et son tracé, qui constituait un polygone irrégulier de 1 700 mètres carrés au maximum, est signe d’archaïsme.
Comme dans de nombreux villages soissonnais, la forteresse est construite à quelques mètres de l’église, pour protéger le village et servir de refuge aux habitants. Son emplacement a aussi un intérêt stratégique. Du haut de la tour, les guetteurs peuvent observer la navigation sur l’Aisne, d’Osly-Courtil à Roche, le carrefour des deux voies romaines, le ru de Retz jusqu’à Laversine. L’édifice, entouré d’un rempart avec fossés et pont-levis, est composé de quatre tours d’une vingtaine de mètres de hauteur et d’environ 8 mètres de diamètre, reliées par d’étroites courtines rectilignes. Les murs des tours mesurent 2,55 mètres d’épaisseur, les courtines 2,85 mètres pour trois d’entre elles et 3 mètres pour celle de l’est car c’était celle de l’entrée et la plus exposée aux coups de l’adversaire. Autrefois, la partie supérieure était terminée par un parapet crénelé avec mâchicoulis qui a été détruit à la Révolution. La partie centrale de la tour devait être couverte d’un grand pavillon conique et les tours par des planchers en terrasse ou des voûtes.
Un calcul, effectué à partir des quantités de matériaux mis en œuvre, a permis de déterminer que l’ensemble de la forteresse a pu être édifié en moins d’un an et demi avec un effectif d’une centaine d’ouvriers. Cela a été favorisé par la proximité des ressources en matériaux : carrières de pierre calcaire, terre argileuse, sable, chaux fabriquée à partir du calcaire…
La tour d’Ambleny a toutes les caractéristiques des constructions du XIIe siècle. Dans son état initial, le rez-de-chaussée ne comportait aucun accès. Une porte, au nord, date du XVIIe siècle. Aujourd’hui, on pénètre à l’intérieur par une ouverture moderne percée dans la muraille. À l’origine, l’accès se trouvait au niveau du premier étage, du côté de la place de l’église, où l’on voit encore la porte qui était reliée au mur d’enceinte par une passerelle amovible. En position relevée, la passerelle venait se loger à l’intérieur d’une arcade voûtée en plein cintre.
Le rez-de-chaussée est une grande salle octogonale d’environ 8 x 9 mètres, mise en communication avec les tours par des arcades en plein cintre, sauf celle du sud-ouest qui était séparée par un mur dont il ne subsiste que les arrachements et la fondation. Les traces de poutres visibles dans les murs montrent que la grande salle et les tourelles étaient couvertes d’un plancher. La communication avec le premier étage s’effectuait à l’aide d’une échelle ou d’un escalier de bois car il n’y a pas de trace d’escalier en pierre. Légèrement décalé du centre, se trouve un puits de 8 mètres de profondeur.
Le premier étage, d’environ 7 mètres de hauteur, était lui aussi couvert d’un plancher. Il était éclairé par des fentes étroites dans les tours et par trois fenêtres percées dans les courtines équipées de bretèches. Ces ouvertures, peu nombreuses et de faibles dimensions, ont toutes été remaniées à différentes époques. Cependant, la salle centrale, bien éclairée et accessible directement depuis l’extérieur, pouvait être utilisée pour rendre la justice.
L’accès au deuxième étage se faisait par une échelle qui rejoignait l’escalier à vis de la courtine est. Dans l’une des tourelles un autre escalier conduit au local de manœuvre du pont-levis. Cet étage formait la partie privative de la tour où devaient se tenir, selon les époques, le seigneur de Pierrefonds et sa famille ou le gardien de la tour.
Il n’y a que des suppositions pour le troisième étage démoli à la Révolution. Son accès s’effectuait aussi à l’aide d’échelles associées à des escaliers. Complexité et exiguïté des lieux ? Rien n’explique la raison pour laquelle les escaliers n’ont pas été prolongés.
L’absence de cheminées et de latrines à l’intérieur de la tour a dû exiger un corps de logis extérieur pour héberger le capitaine et sa garnison. L’abbé Poquet le situe du côté nord, adossé au mur d’enceinte. La présence d’une cave voûtée et de la porte d’accès au rez-de-chaussée dans cette zone, permettant une communication rapide entre les deux bâtiments, confirment cette hypothèse. Enfin, certains disent que des souterrains rejoignent Coucy en passant sous l’Aisne, d’autres Pierrefonds, Le Soulier ou la ferme des Tournelles (au carrefour des rues Mahieux et Dantale) L’intérieur a été entièrement fouillé, le puits exploré jusqu’au fond sans trouver d’issue à l’intérieur. Il faut se rendre à l’évidence : tout cela n’est que légende.
Si la tour a traversé les siècles pour parvenir jusqu’à nous, c’est grâce à son excellent état de conservation, dû sans doute à la nature de la pierre du Soissonnais, mais aussi à la grande qualité de sa construction qui a permis de maintenir, malgré les guerres, un édifice majeur pour la construction de notre architecture militaire romane.
D’après différents ouvrages de Denis Rolland et Ghislain Brunel et avec leur aimable autorisation